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le Patrimoine culturel accessible à tous avec Histoire de Son

Outils numériques de visite : équilibrer technologie et contenu

17 Février 2015, 09:32am

Publié par véronique muzeau

Outils numériques de visite : équilibrer technologie et contenu

Depuis quelques années, des outils numériques toujours plus étonnants voient le jour, pour faire visiter des villes, des parcs naturels ou des sites culturels.

Et les collectivités, offices de tourisme, voire les établissements culturels, ont tendance à orienter l'essentiel de leur budget vers la technologie, au détriment des contenus et de la médiation.

Voici des arguments pour les convaincre de rééquilibrer les investissements outils-contenus.

 

Valoriser son originalité pour un tourisme personnalisé

 

Partons d'une donnée majeure du marketing territorial depuis l'irruption du numérique : le tourisme de masse est en perte de vitesse. Le visiteur veut désormais vivre une expérience singulière. C'est l'émergence d'un tourisme « hyper personnalisé ».

 

D'où l'intérêt des découvertes touristiques qui créent un lien avec un territoire. Le territoire et son patrimoine naturel, ses paysages, son patrimoine culturel bien sûr, mais y compris au sens immatériel : les atouts humains du territoire (personnes, pratiques et savoir-faire). Le patrimoine immatériel culturel est reconnu par l'UNESCO : on y trouve aussi bien des danses que des traditions culinaires, des rituels ou des techniques. C'est un atout pour la préservation de ce patrimoine, c'est aussi un atout pour le développement touristique des territoires concernés !

 

À bien y réfléchir, cette personnalisation du tourisme est aussi une chance pour les zones touristiques marginales et les petites structures. En effet, elles pourront faire valoir leur caractère unique et « hors des sentiers battus ». Il s'agira alors de concevoir ses outils de visite et de valorisation du patrimoine comme des pourvoyeurs d'expérience, de souvenirs et de culture. Rien à voir avec le cas des sites de tourisme de masse qui s'arrêtent à la fonction gestion des flux de ces outils.

Même si cet objectif de créer un véritable « compagnon de visite » est bien compris, tout reste à faire cependant pour que l'outil soit réussi et se démarque de celui du voisin.

 

Trop de technologie tue l'outil de visite

 

Cas typique de démarche inachevée : l'application mobile épate les élus et les médias locaux par son caractère apparemment innovant. Elle émoustille le visiteur avec une restitution animée en trois dimensions ou un personnage en « réalité augmentée » surgi dans le décor. Et au final, elle ne transmet rien du territoire ou du site visité.

Ce n'est pas le seul inconvénient des choix qui misent tout sur la technologie.

 

Le prototype qui fonctionne mal

 

Pire, on vous vend un outil numérique vraiment très innovant ; qui va quasiment jouer les machines à téléporter les visiteurs ou à leur faire remonter le temps, et... las ! Une fois en place, le « jouet » refuse obstinément de fonctionner correctement. Ou bien l'ergonomie est si mal pensée qu'elle en devient pénible ! Un mauvais point pour l'expérience utilisateur du visiteur et pour l'image du territoire ou du site.

 

C'est à ce moment là que le commanditaire (collectivité, office de tourisme, établissement culturel) se demande s'il a vraiment bien fait d'investir des milliers d'euros dans la création de cette application. Application certes prometteuse.... mais vraisemblablement encore en cours de développement (ce qui explique peut-être les 6 mois de retard de livraison). Trop souvent, les concepteurs d'outils de visite proposent sans l'avouer des prototypes, et c'est l'argent public qui finance...

 

Le salon Voyage en Multimédia de Saint Raphaël proposait justement le 6 février 2015 un atelier « Réussir le guidage et la mise en scène numérique de son patrimoine culturel ». Au cœur de l'exposé, ce conseil de bon sens à ceux qui veulent créer un outil de visite ludique : en cas de budget restreint, mieux vaut préférer les parcours de jeux bien pensés à partir de technologies simples et déjà développées.

 

La réalité, augmentée mais pas expliquée

 

Autre cas de figure fréquent, une application mobile est mise en place, elle fonctionne, mais.... le contenu est indigent :

  • textes trop longs, trop techniques, trop savants ou bourrés de fautes,

  • enregistrements audio inaudibles et sur-compressés d'un texte « maison » mal lu et pas du tout conçu pour l'oral,

  • photos ternes,

  • vidéo amateur.

Résultat, l'utilisateur a manipulé l'outil mais sans entrer en résonance réelle avec votre territoire ou votre site, sans trouver de véritable sens à sa visite.

 

Le tout techno expose à l'obsolescence rapide

 

L'obsolescence technologique est bien plus rapide que celle des contenus : une belle photo d'un paysage reste belle quoi qu'il arrive, une bonne anecdote bien racontée par un enfant du pays restera savoureuse. Si vous n'avez misé que sur la technologie, votre média d'accompagnement à la visite risque bien de paraître ringard dans 5 ans, ce qui vous contraindra à réinvestir.

 

Éviter la standardisation des visites

 

Même un outil technologique qui semble innovant peut « standardiser » l'image de votre destination, votre territoire ou votre site. Il en va pour les dispositifs de réalité augmentée comme des audioguides. Si l'outil est conçu sans une réflexion sur son contenu (l'identité du territoire ou du site qu'il va servir), il n'y a aucune raison pour que cet outil soit original et personnalisé. On finit par se retrouver avec toujours les mêmes graphismes, les mêmes types de schémas, les mêmes interactions.

 

Audioguides traditionnels et audioguides avec interviews

 

Le cas des audioguides illustre ce problème de standardisation liée à la seule préoccupation de l'outil au détriment du contenu transmis.

Récemment, un article de Slate donnait la parole à Sophie Deshayes, docteure en Sciences de l'Information et de la Communication, qui a consacré sa thèse aux audioguides. Cette chercheuse préconise des contenus audio à base d'interviews d'experts. Autrement dit des historiens, guides-conférenciers, archéologues, géographes... mais les « experts » d'un territoire peuvent être aussi des habitants de longue date qui témoignent de leur vécu.

 

Implication des experts du territoire

 

Histoire de Son est convaincu par son expérience de production de contenus que la transmission et l'intérêt de l'écoute passent par les « vraies gens ». Nous privilégions les séquences audio à base d'interviews de personnes-ressources, issues du territoire ou des structures à visiter, pour plusieurs raisons :

  • La légitimité de parole : qu'il s'agisse de scientifiques ou spécialistes d'un domaine particulier ou d'habitants “experts” de leur territoire.

  • La passion communicative : les spécialistes ou les habitants d'un territoire disposés à parler sont forcément animés d'une grande motivation pour leur sujet. Motivation qui se transmet spontanément dans leur voix et leurs mots.

  • Le ton naturel : bien plus qu'un comédien extérieur qui lira un texte dont il n'est pas l'auteur, la personne-ressource qui explique un concept, un lieu, un savoir qu'elle maîtrise, sait trouver le ton et les mots. D’emblée, la proximité avec l’auditeur peut s’installer.

 

Les limites du « fait-maison »

La question qui se pose à toute structure ou collectivité c'est : puis-je produire en interne des contenus de qualité ?

 

Les compétences spécifiques au multimédia

 

En fait, la réponse est assez simple : à moins de disposer de compétences spécifiques, non.

Si votre personnel communal compte un producteur de contenus multimédia et médiateur culturel chevronné, vous pouvez en effet lui confier les contenus de votre application mobile de visite. Mais sachez que cette production lui demandera du temps, temps pendant lequel il sera indisponible pour d'autres missions.

Si vos médiateurs culturels sont familiers du numérique et enthousiastes, impliquez-les dans l'élaboration des contenus, mais en partenariat avec des prestataires spécialisés.

 

Le développement informatique d'une application numérique ou d'un dispositif technique est un métier (d'ingénieur ou d'informaticien). Il en va de même pour la production d'un discours adressé au grand public, qui retient son attention et lui transmet un message.

Si certains des commanditaires ont une formation initiale à la médiation ou à la vulgarisation, c'est loin d'être toujours le cas. Interpréter, vulgariser et expliquer sont des tâches qui nécessitent un savoir-faire spécifique. Même au-delà du numérique : quand on voit s'étaler sur les panneaux d'interprétation d'une ville touristique de nombreux termes architecturaux sans aucune définition, on reste songeur...

La production de contenus est un métier. Surtout s'il s'agit de contenus multimédias.

 

Les multiples langages de la médiation culturelle

 

Ce n'est pas parce que le commanditaire dispose en interne des compétences pour écrire un cartel d'exposition ou une brochure touristique qu'il saura concevoir des médias audio ou vidéo de qualité.

Vous ne songez pas à envoyer vos films de famille à une chaine de télévision pour qu'elle les diffuse. C'est pareil pour les contenus d'application mobile. Évitez d'infliger à vos visiteurs :

  • des rédactionnels mal conçus, au graphisme tendance mais illisible, avec des textes dignes du journal officiel,

  • l'enregistrement d'une lecture laborieuse et mal rédigée,

  • des photos floues ou surexposées,

  • les images tremblantes de la vidéo réalisée quand vous aviez 5 minutes, entre deux clients de l'office de tourisme.

La création d'un bon contenu multimédia c'est un savoir-faire, ça se paie comme le reste.

 

 

En résumé, mieux vaut un dispositif numérique de visite :

-techniquement simple mais ergonomique et opérationnel, pour une bonne expérience utilisateur et une obsolescence moins rapide,

-au contenu professionnel pour que les visiteurs aient l'impression d'avoir compris quelque chose de votre territoire ou de votre site,

-au contenu riche, pour que l'utilisateur ait le choix, et donc pour pouvoir séduire plusieurs types de visiteurs (jeunes, seniors, CSP +, personnes handicapées, touristes étrangers),

-dont le contenu puisse être enrichi et actualisé régulièrement pour faire durer votre outils de visite.

 

Pour en savoir plus

 

Les audioguides parlent (presque) d'une seule voix, de Pauline Moullot, Slate.fr, 6 janvier 2015.

Réussir le guidage et la mise en scène numérique de son patrimoine culturel, Charles Demoulin, Julien Brouillard, David Lerman, Vivian Vidal, au salon Voyage en Multimédia, 6 février 2015.

La visite des musées, des expositions et des monuments, juin 2012 – CREDOC, Emilie Daudey, Sandra Hoibian, Jörg Müller.

 

 

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